« "Tu m'as souvent dit vouloir écrire un jour un roman où aucun mot ne serait sérieux. Une Grande Bêtise Pour Ton Plaisir. J'ai peur que le moment ne soit venu. Je veux seulement te prévenir : fais attention."
J'incline la tête encore plus bas.
"Te rappelles-tu ce que te disait ta maman ? J'entends sa voix comme si c'était hier : Milanku, cesse de faire des plaisanteries. Personne ne te comprendra. Tu offenseras tout le monde et tout le monde finira par te détester. Te rappelles-tu ?
- Oui, dis-je.
- Je te préviens. Le sérieux te protégeait. Le manque de sérieux te laissera nu devant les loups. Et tu sais qu'ils t'attendent, les loups." »
Postface de François Ricard
<< Tu m'as souvent dit vouloir écrire un jour un roman où aucun mot ne serait sérieux. Une Grande Bêtise Pour Ton Plaisir. J'ai peur que le moment ne soit venu. Je veux seulement te prévenir: fais attention. >>
J'incline la tête encore plus bas.
<< Te rappelles-tu ce que te disait ta maman? J'entends sa voix comme si c'était hier: Milanku, cesse de faire des plaisanteries. Personne ne te comprendra. Tu offenseras tout le monde et tout le monde finira par te détester. Te rappelles-tu? Oui, dis-je.
Je te préviens. Le sérieux te protégeait. Le manque de sérieux te laissera nu devant les loups. Et tu sais qu'ils t'attendent, les loups.>>
Folio Gallimard, 2000, p. 110 - 111
Il faut lire au moins deux fois Le Monde comme volonté et comme représentation pour que sa lecture prenne le moindre sens : c’est par cette phrase que Schopenhauer accueille toute personne qui cherche à appréhender son chef-d’œuvre philosophique. L’œuvre est complexe, certes ; l’exigence est sans doute irréaliste, mais pas absurde. Milan Kundera, lui, n’exige rien de tel. Mais son dernier roman, La Lenteur, mérite d’être lu plusieurs fois ; non qu’il soit difficile à saisir, mais parce qu’il est si accessible, au contraire, qu’on passe facilement à côté de nombreux éléments à la première lecture.
La Lenteur est un livre cohérent, conçu avec rigueur, hautement détaillé sur le plan psychologique et surtout magnifique, qui tente de répondre à une question : peut-on vivre uniquement pour le plaisir ? La réponse est non, probablement.
Au fond, ce livre n’est qu’un long soupir. Mais Milan Kundera ne tente pas de le dissimuler. La Lenteur, c’est à la fois une vitupération contre les médias, une critique de la culture, un traité philosophique et littéraire, une dissertation d’histoire de l’art et un roman à clé. Kundera se lamente ici sur la corruption morale des intellectuels et la perte d’intimité qu’entraîne la télévision, il pleure sur le destin de l’amour à une époque qui en a oublié les délices et qui ne connaît plus qu’une extase débarrassée des sens, il maudit la tyrannie de la précipitation.
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