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LE ROMAN / 1963

Risibles Amours

Ce recueil de nouvelles, d’abord publié en trois volumes en 1963, 1965 et 1968, puis en un volume remanié en 1970, toujours aux éditions Československý spisovatel, a été traduit dans 38 langues et a connu un grand nombre d’éditions différentes en espagnol, français, italien, allemand et chinois. En 1969, il a valu à son auteur le prix de l’Union des écrivains tchécoslovaques.

Extrait du roman

Mais ce jour-là elle ne se tourmentait pas et ne pensait à rien de tel. Elle se sentait bien. C'était leur première journée de vacances (quinze jours de vacances qui avaient été pendant toute l'année le point de convergence de ses désirs), le ciel était bleu (toute l'année elle s'était demandé avec angoisse si le ciel serait vraiment bleu) et il était avec elle. Après son « où vas-tu?», elle rougit et partit en courant, sans un mot. Elle contourna la station-service, qui se trouvait au bord de la route en rase campagne ; à une centaine de mètres (dans la direction qu'ils devaient prendre ensuite) commençait une forêt. Elle s'élança dans cette direction et, abandonnée à une sensation de bien-être, disparut derrière un buisson. (Même la joie que procure la présence de l'aimé, il faut être seul pour l'éprouver dans sa plénitude.)
Puis elle sortit de la forêt et regagna la route; de l'endroit où elle se trouvait, on apercevait la station-service; le gros camion-citerne était déjà parti. Le cabriolet s'avança vers la colonne rouge de la pompe à essence. Elle marchait le long de la route ; à peine se retournait-elle de temps à autre pour voir s'il n'arrivait pas. Elle l'aperçut enfin; elle s'arrêta et se mit à faire signe, comme une auto-stoppeuse fait signe à une voiture inconnue. Le cabriolet freina et s'arrêta juste à sa hauteur. Le jeune homme se pencha vers la vitre, la baissa, sourit et : « Où allez-vous, mademoiselle? demanda-t-il. — Allez-vous à Bystrica ? s'enquitelle à son tour avec un sourire coquet. — Je vous en prie, montez », dit-il en ouvrant la portière. Elle monta et la voiture se mit en marche.

(Folio Gallimard, pp. 95-96)

Couvertures des éditions étrangères

Édition russe

Édition anglaise

Édition tchèque

Édition grecque

Édition chinoise

Édition thaïlandaise

Version finlandaise

Édition islandaise

Édition allemande

Annotation de l'éditeur

« "Suppose que tu rencontres un fou qui affirme qu'il est un poisson et que nous sommes tous des poissons. Vas-tu te disputer avec lui ? Vas-tu te déshabiller devant lui pour lui montrer que tu n'as pas de nageoires ? Vas-tu lui dire en face ce que tu penses ?"

Son frère se taisait, et Édouard poursuivit : "Si tu ne lui disais que la vérité, que ce que tu penses vraiment de lui, ça voudrait dire que tu consens à avoir une discussion sérieuse avec un fou et que tu es toi-même fou. C'est exactement la même chose avec le monde qui nous entoure. Si tu t'obstinais à lui dire la vérité en face, ça voudrait dire que tu le prends au sérieux. Et prendre au sérieux quelque chose d'aussi peu sérieux, c'est perdre soi-même tout son sérieux. Moi, je dois mentir pour ne pas prendre au sérieux des fous et ne pas devenir moi-même fou." »

Serge Bagdassarian de la Comédie-Française s’empare avec adresse et humour de ces sept irrésistibles nouvelles, qui offrent un regard tendre et désabusé sur l’amour." 

(Gallimard)

Ébauches de couvertures
Milan Kundera est l’auteur d’ébauches de couvertures pour ses livres. À droite, vous pouvez voir certaines de ses esquisses pour Risibles amours.

Critiques

Vít Závodský, Actes du colloque de la faculté de lettres de l’université de Brno, 1966

La comédie que nous offre ici Kundera, qui finit d’ailleurs par se transformer en tragédie, est d’une portée bien plus large que la simple victoire de la vie sur les décisions et les actes de l’individu. Car, en effet, la facilité avec laquelle le narrateur semble au départ contrôler son destin et celui des autres s’avère tout à fait fictive.

Milan Suchomel, Literární noviny, 1966, n. 2

Le jeu se met en place à mesure que l’intrigue se développe, les règles sont formulées de façon explicite dans le texte. Tout le récit se déploie comme un mécanisme dont le pivot central est la chute. Ce qui confirme le fait que nous n’avons pas affaire à une œuvre banale qui ne cherche qu’à obtenir les faveurs du public : Risibles amours est un jeu où l’on joue pour de vrai, un jeu sur le sens de la vie et bien plus, sur la vie du sens même. 

Miloš Pohorský, Kulturní tvorba, 1966, n. 1

Dans ces histoires courtes et légères en apparence, Kundera trouve une forme suffisamment claire et vivante pour mener à bien son intention. Car il parvient à exprimer de façon nonchalante, ludique et, il faut le dire, parfaitement maîtrisée, les aspects les plus sérieux, les plus durs de la vie contemporaine, et tout ce qui, en elle, est source de détresse et d’insatisfaction. […] L’auteur choisit ses mots, ses associations, ses tableaux avec le plus grand soin, il construit chaque phrase avec minutie et tient fermement en mains le destin de ses personnages. Et pourtant, ce n’est pas l’intrigue qui est proprement décisive. Le plus grand succès de l’écrivain réside ici dans le fait qu’il parvient à voir et à juger les êtres en profondeur, avec tous leurs désirs, toutes leurs folies. 

Milan Kundera, couverture de Risibles amours, 1963

J’ai écrit ce livre pendant que je travaillais sur la pièce Les Propriétaires des clés (Majitelé klíčů). Le thème était trop sérieux, le travail presque pénible. Il faut dire que le théâtre est le genre littéraire soumis aux règles les plus strictes, et qui donne le plus de soucis d’ordre pratique. J’avais donc envie de m’évader, de me sentir libre, de m’amuser. C’est ainsi que sont nées ces trois nouvelles que j’aimais d’autant plus qu’elles ramenaient en moi une certaine légèreté. Je pensais alors qu’il s’agissait de récits plutôt volages, mais certains lecteurs m’ont détrompé, c’est pourquoi j’évoque dans le sous-titre mon illusion première et l’impression qu’elles donnent : au fond, ce sont des anecdotes à la fois drôles et mélancoliques. 

Le livre audio, un phénomène

Source : Supraphon (page Youtube)

En 2008, Supraphon publie Risibles amours sous forme de livre audio. Les nouvelles sont lues par Jan Kolařík, Igor Bareš, František Defler, Ladislav Lakomý, Antonín Přidal et Marcela Vandrová. Vous avez ici la possibilité d’écouter un extrait du livre.

Pour aller plus loin

La transparence selon Kundera

Dans le domaine médiatique et politique, le terme « transparence » signifie le dévoilement de la vie des individus au regard du public, ce qui ne va pas sans rappeler André Breton et son désir de vivre dans une « maison de verre », à la vue de tous. 

Maison de verre : une utopie ancienne, mais aussi l’un des aspects les plus effrayants de la vie moderne.
Règle : plus les affaires de l’État sont opaques, plus celles des individus doivent être transparentes ; la bureaucratie, bien qu’elle représente les affaires publiques, est anonyme, secrète, codée, incompréhensible, tandis la personne privée est sommée de dévoiler sa santé, ses finances, sa situation familiale, et, si les médias en décidé ainsi, elle ne trouvera pas le moindre instant d’intimité ni dans ses amours, ni dans sa maladie, ni dans sa propre mort. Le désir de violer l’intimité de son prochain a de tous temps constitué une forme d’agressivité. Il est aujourd’hui institutionnalisé (la bureaucratie avec ses fichiers, les médias avec leurs reporters) et justifié moralement (le droit à l’information est devenu le premier des droits humains). 

La ville de Brno contribue au financement de la Bibliothèque Milan Kundera par une subvention individuelle.


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