Ce roman est sorti pour la première fois en français, chez Gallimard, en 1973, et a reçu le prestigieux Prix Médicis étranger la même année. L’année suivante, il est sorti en anglais chez Adolf A. Knopf (New York), puis en tchèque en 1979 chez Sixty-Eight Publishers (éditions en exil, Toronto). Traduit dans 42 langues, publié le plus souvent en français et en espagnol, il est également très apprécié par les lecteurs allemands, italiens et portugais.
La révolution et la jeunesse forment un couple. Qu’est-ce que la révolution peut promettre á des adultes? Aux uns la disgrâce, aux autres ses faveurs. Mais ces faveurs-là ne valent pas grand-chose, car elles ne concernent que la moitié la plus misérable de la vie et elles apportent, avec les avantages, l’incertitude, une épuisante activité et le bouleversement des habitudes. La jeunesse a plus de chance: elle n’est pas accablée par la faute, et la révolution peut l’admettre tout entière sous sa protection. L’incertitude des époques révolutionnaires est pour la jeunesse un avantage, car c’est le monde des pères qui est précipité dans l’incertitude. (…) Dans l’enseinement supérieur tchèque, dans les premières années qui suivirent la révolution de 1948, les professeurs communistes étaient en minorité. Pour assurer son emprise sur l’Université, la révolution devait donner le pouvoir aux étudiants. Jaromil militait à l’Union de la jeunesse, à la faculté, et il assistait aux délibérations des jurys d’examen. Il adressait ensiute au comité politique de l’école un rapport où il indiquait comment tel ou tel professeur se comportait pendant les examens, les questions qu’il posait et les opinions qu’il défendait. C’était en fait l’examinateur plutôt que l’examiné qui subissait un examen.
(Folio, 2006, p. 245)
Étant donnée la complexité de l’œuvre de Kundera, il est tentant de chercher derrière tout cela une allégorie politique, mais je pense que les allusions indirectes disséminées par l’auteur sont bien trop directes pour cela. Kundera cherche ici à comprendre comment atteindre la vérité. Parrallèlement, le roman s’efforce de devenir tous les romans qu’il contient potentiellement. Dans ce livre, l’auteur n’a probablement pas encore bien conscience des pièges qu’il s’est tendus à lui-même avec toutes ses allusions et ses sous-entendus, mais il parvient à mettre en place un engrenage typique de son univers grâce auquel il peut, en l’effleurant à peine, entraîner le lecteur au plus profond de sa gravité.
Kundera traite le thème de la lutte et de la mort avec une connaissance si raffinée de la nature humaine que son livre se hisse parmi les plus grands textes consacrés à la relation mère – fils, tels que Henri le vert de Keller ou Les Mots de Sartre. Chez Kundera, le comique et l’horrible, le grand et le petit, le naturel et le grotesque, le rêve et la réalité se confondent de la même façon que dans les romans de Kafka. Mais les personnages, eux, évoluent différemment. Tandis que chez ce dernier, la vision la plus terrifiante est celle du mal collectif, l’auteur contemporain a un point de vue très arrêté et exprime ses doutes quant à l’existence d’une instance supérieure à laquelle il serait possible de s’en remettre.
Comme Milan Kundera le rappelle souvent, seuls les individus dotés d’un sens de l’humour sont capables de percevoir le comique d’une situation, et les partisans d’un ordre nouveau, voire d’un retour à l’ordre ancien, en sont généralement dépourvus. Or, les romans de Kundera montrent très bien à quel point ces gens qui ignorent l’humour sont dangereux. Car ceux d’aujourd’hui aussi se prennent très au sérieux, et prennent très au sérieux leurs divagations sur le fait qu’il est possible de faire faire marche arrière à la révolution qui traverse tous les aspects du monde sous nos yeux. Et si leurs convictions ne peuvent être appliquées dans la bienveillance, ils voudront qu’elles s’appliquent par la violence. En ce sens, le personnage de Jaromil est une mise en garde.
La ville de Brno contribue au financement de la Bibliothèque Milan Kundera par une subvention individuelle.
© 2024 Bibliothèque de Moravie